Depuis la désintégration du bloc dit communiste, les classes dominantes propagent une vision duale du monde opposant l’Occident à l’Orient, la civilisation à la barbarie. Il n’y aurait plus d’antagonisme de classe, juste un affrontement entre le monde judéo-chrétien et le monde arabo-musulman, son antinomie parfaite.
La ligne de séparation que les atlantistes creusent est géographique et intangible. Cette fragmentation sur base du credo religieux ou du groupe ethnique est une régression intellectuelle qui relègue en arrière-plan les identités sociales. Les appartenances substitutives font pièces à la conscience sociale et fortifient l’assise de l’ordre dominant.
L’islam est perçu dans l’imaginaire collectif comme un phénomène politico-religieux nuisible et extérieur. Il serait réfractaire à la raison et incompatible avec les valeurs de liberté et d’égalité du monde occidental. On lui reproche par-dessus tout d’être ontologiquement violent. Il glorifierait le sang et la mort. Sous ce regard, l’islam est une entité homogène immobile incapable de se réformer et de s’adapter à la modernité. Il est en somme inférieur à l’Occident.
Cette doctrine débouche au terme d’analogies abusives sur une nouvelle forme de racisme : on assimile islam, islamisme, arabe et terrorisme ou autrement dit religion, idéologie, culture, ethnie et moyen d’action.
Cette représentation n’est qu’un paravent idéologique qui dissimule d’une part les ambitions hégémoniques d’un réseau d’influence international et qui consolide d’autre part sa domination. La menace islamiste a été agitée au moment où les contestations sociales s’exprimaient avec le plus de vigueur y compris dans le cœur des Etats-Unis. Un mouvement social anti-systémique parvenait à faire écho de Seattle à Gênes et inquiétait les dirigeants capitalistes. La bourgeoisie devait renforcer dès lors son système immunitaire en renforçant le complexe militaro-policier.
Depuis, on a pu observer une inflation inédite des moyens assignés à la surveillance et à la répression : vidéosurveillance, biométrie, fichage. En développant une menace anxiogène, ce sont les citoyens eux-mêmes qui prêchent pour un surplus de sécurité. Le terrorisme est parvenu à donner un blanc-seing illimité dans le temps et dans l’espace à l’impérialisme euro-américain. Il justifie la présence sine die des armées impérialistes dans n’importe quel recoin du monde.
Paradoxalement, l’islamisme sert les intérêts impérialistes en décrédibilisant les mouvements d’émancipation sociaux ou nationaux. Comme toute idéologie, il est l’émanation de son temps et de sa société qu’il soutient. Il n’est ni dans l’essence ni dans les faits une alternative à l’ordre libéral.
Depuis le 11 septembre 2001, des experts autoproclamés ès terrorisme (Claude Moniquet, Alexandre Del Valle, Antoine Sfeir,..) sont montés au créneau pour alimenter une paranoïa collective. Les philosophes réactionnaires et conscience du monde du genre Bernard-Henri Levy ou Alain Finkielkraut y ont trouvé eux aussi leur fonds de commerce en accréditant la thèse de la confrontation civilisationnelle.
Selon une logique circulaire, les citations entrecroisées des uns et des autres sont censées avoir valeur de démonstration. Faute de preuves empiriques, les publicistes de l’ordre mondial se contentent de propager les conclusions d’officines gouvernementales pourtant maintes fois confondues de manipulation à grande échelle. Ils participent de la sorte à la construction du fantasme d’une menace externe grandissante et d’une stratégie globale et cohérente de conquête du pouvoir par des groupes jihadistes. S’affranchissant de l’histoire et du cadre socio-économique, ce système explicatif met en liaison un ensemble de mouvements sans parenté.
De Bali au Yémen en passant par Bagdad, les banlieues françaises ou les bidonvilles marocains, un seul coupable est désigné : le terrorisme islamiste. Rien ne peut ébranler cette thèse puisque une menace est par définition une virtualité qui peut ne pas prendre forme dans l’immédiat.
Notons par ailleurs que cet embrouillement profite en premier ordre au sionisme qui peut briser la résistance palestinienne au nom de la lutte contre le terrorisme. La posture martiale et expansionniste de Sharon a trouvé un contrefort sans précédent depuis les événements du 11 septembre. Les idéologues de l’impérialisme proposent l’union sacrée des Etats-Unis, de l’UE et d’Israël pour contrer le péril vert.
Pour Claude Moniquet, président de l’ESISC (European Strategic Intelligence and Security Center : club de réflexion traitant des questions de sécurité stratégique), « il est temps de se lever, tous ensemble, chrétiens, musulmans, juifs, athées et autres pour dire haut et fort : la liberté est notre règle en Europe. Elle est inscrite dans nos constitutions, nos lois et nos coutumes et nous ne voulons aucune autre loi. Que ceux qui s’en trouvent insatisfaits aillent vivre ailleurs ». Claude Moniquet, inlassable défenseur d’Israël, est un intermittent des medias au même titre que son confrère Alexandre Del Valle. Ce dernier, prétendu spécialiste des questions de géopolitique liées à l’islamisme, affirme sans ambages que « les islamistes ne demandent pas seulement le retrait d’Irak et d’Afghanistan. Ils veulent diviser le front occidental, ne perdant pas de vue leur objectif qui est la conquête de l’Europe... ».
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